- Le Journal du Dimanche a écrit:
- Enquête sur un suicide à l'isolement
Stéphane Joahny
Article paru dans l'édition du 21.02.10
Le suicide en prison hier matin de Jean-Pierre Treiber, suspecté du meurtre de Géraldine Giraud et de Katia Lherbier en 2004, relance inévitablement les critiques sur l'administration pénitentiaire.
Mais avant de s'exprimer sur le sujet, comment ne pas avoir une pensée pour les familles des deux victimes plongées dans le désarroi ? certes, il n'y avait pas grand chose à attendre du procès qui devait s'ouvir le 20 avril néanmoins le suicide de Jean-Pierre Treiber, comme celui de Pierre Chanal il y a 7 ans, est la pire des épreuves car ces hommes ont emporté leurs secrets avec eux et demeureront à tout jamais présumés innocents.
Pourtant, il serait aussi injuste qu'inexact de tirer des conclusions hâtives, en pointant du doigt le personnel de surveillance.
La réalité crue c'est que si la Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis est la plus grande d'Europe avec une capacité théorique de 2 800 places, elle accueille environ 3500 détenus, soit un taux d'occupation de 125% !
Symbole de l'état du système carcéral français, la véritable défaillance se situe bien plus dans ce chiffre que dans un quelconque manque de professionalisme.
Et pour croiser nombre de surveillants lors de parloirs-avocat, je peux affirmer que la grande majorité de ces hommes exercent avec compétence et conviction un métier psychologiquement usant dans des conditions souvent très difficiles : toujours en première ligne, ils sont les premiers à regretter de voir leur rôle se réduire à celui de gardiens chargés de faire appliquer le règlement alors que leur mission est aussi d'aider les détenus, aux côtés des services pénitentiaires d'insertion et de probation, à préparer leur retour à la liberté.
Michèle Agrapart-Delmas, experte psychologue, qui a étudié Jean-Pierre Treiber en 2008 a concédé ne pas avoir "
relevé le moindre risque suicidaire" à l'issue de son expertise. Fallait-il être plus royaliste que le roi et détacher à demeure un surveillant au risque d'engendrer des dépenses importantes pour un seul détenu ? que n'aurait-on pas dit !
Et pour quelles garanties ? car il est illusoire de croire que l'on pourra empêcher un détenu de se suicider s'il veut vraiment passer à l'acte. Et ce n'est pas le dérisoire "kit anti-suicide" avec des pyjamas en papier qui changera la donne.
Ce fait divers est donc à replacer plus largement dans la situation gravissime que connait la France dont le taux de suicide en prison est le plus élevé de l'Europe de l'Ouest selon une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined) publiée en décembre dernier.
Et tant que nos gouvernants refuseront de s’attaquer aux causes du mal (
restauration du lien social, soins insuffisants, locaux trop souvent vétustes, surveillants en sous-effectif...), il ne faudra pas s'étonner que le drame de ce week-end se reproduise quotidiennement dans nos prisons.